LE RAPPORT MITKIEWICZ
ou
L'ARME DU TYPHUS
Le rapport que nous publions ci-dessous fait partie d'un
document qui porte sur les activités en Pologne de l'Armée secrète polonaise
durant les quatre premiers mois de l'année 1943. Rédigé en anglais et daté
du 7 septembre 1943, il émane du colonel Mitkiewicz, officier de liaison
auprès des chefs d'état-major alliés à Washington (Polish Liaison Officer to
the Combined Chiefs of Staff). Il s'adresse au brigadier General John R. Deane.
L'Armée secrète polonaise était dirigée de Londres par le général
Sikorski, lequel devait trouver la mort dans un accident d'avion à Gibraltar,
le 4 juillet 1943. Cette armée n'est pas à confondre avec celle du Comité
polonais de libération nationale ou «Comité de Lublin», fondé en juillet
1944 et d'obédience communiste.
L'auteur du rapport a peut-être voulu tracer un portrait flatteur de la
résistance polonaise mais l'aveu de certains échecs témoigne d'un souci
d'exactitude ; en tout cas, il donne une idée du caractère impitoyable de la
lutte menée de part et d'autre.
Sans les justifier le moins du monde, il convient de chercher à comprendre de
quel œil l'armée et l'administration allemandes pouvaient voir ces
«résistants», qu'ils appelaient des «terroristes». Des colons allemands
avaient été installés dans des territoires qu'ils considéraient comme
allemands et que les Polonais, de leur côté, tenaient pour polonais. Quant à
l'armée allemande, elle voyait dans le territoire polonais la base arrière
du formidable corps de bataille engagé sur le front russe et qui, déjà au
début de 1943, commençait à refluer dans des conditions difficiles. Quelle
armée, quelle administration civile ou militaire auraient pu, dans la même
situation, tolérer des sabotages, des exécutions, des incendies volontaires,
des destructions de toutes sortes ? Ce n'est pas faire l'apologie du
«terrorisme» ou de la «répression» que de dire que l'un entraîne
nécessairement l'autre.
En Pologne et en Ukraine, le typhus était endémique : il y avait là comme un
front de plus sur lequel les Allemands essayaient, tant bien que mal, de lutter
dans les villes, dans les villages, dans les ghettos et dans les camps. Himmler
le dira plus tard :
J'ai perdu des milliers de mes meilleurs SS du fait de ces épidémies [de typhus] (Norbert Masur, «My Meeting with Heinrich Himmler», Moment, décembre 1985, p. 49, traduction de En Jood talar med Himmler [Un juif parle avec Himmler], Stockholm, Bonnier, 1946).
Or, l'Armée secrète s'efforçait, elle, de répandre le
typhus chez les militaires et les civils allemands, comme on le verra,
ci-dessous, à la page 128. Elle utilisait aussi le poison sous différentes
formes et, en particulier, par l'envoi de colis empoisonnés en Allemagne. Le
colonel Mitkiewicz rapporte le fait sans le commenter. Apparemment, les
responsables britanniques, américains et français de l'état-major interallié
ne trouvaient pas d'inconvénient à l'utilisation de tels procédés [1] .
Sous sa forme originale, le document se présente comme une lettre accompagnée
de deux pièces : celle que nous reproduisons et une autre pièce décrivant
l'ordre de bataille des formations allemandes en Pologne d'après des données
recueillies en mars/avril 1943 avec corrections d'après des données du 1er
juillet 1943.
Le document a été tenu secret pendant trente ans. On le trouve aux «National
Archives» de Washington ; ses références complètes sont les suivantes :
- Record Group (RG) 218, Archives of the Joint Chiefs of Staff
- Box 701, «Geographic File 1942-1945, CCS 231.5 Poland (9/21/43) to CCS 381 Poland (6/30/43), Sec. 2»,
- File folder CCS 381 Poland (6/30/43) Sec. 1, «Military Organization of Poland as Factor in General European Planning». Sec. 1 : Correspondence from 6/30/43 thru 11/4/43»,
- Report dated September 7, 1943, from Colonel Mitkiewicz to General Deane.
* * *
RAPPORT SUR L'ARMEE SECRETE POLONAISE
Pour la période : année 1942 à avril 1943
A. Situation en Pologne Occupée
/pour la période : janvier à avril 1943/
I. Attitude des autorités allemandes envers la Pologne
La politique d'extermination mise en place par les Allemands contre les Polonais et les juifs s'intensifie progressivement.
Le plan d'action allemand vise en particulier à :
- exploiter la main-d'oeuvre locale au maximum pour satisfaire les besoins de guerre du Reich, au moyen de :
- la mobilisation et l'enrôlement de force dans l'armée allemande des Polonais qui habitent les régions occidentales du pays. /y compris les hommes de la classe 1900/;
- l'incorporation de la main-d'oeuvre se trouvant dans le reste du pays pour la déporter vers le Reich et l'Est.
- combattre et liquider toute trace de résistance clandestine organisée en Pologne en usant des plus sévères représailles. Les représailles sont fondées sur le principe de la responsabilité collective / exécutions massives, incendies de villages etc./ ;
- germaniser les territoires polonais grâce à un système de déportations en masse/et d'exécutions en cas de résistance/.
Au cours des quatre premiers mois de 1943, les Allemands, tirant parti de l'attitude antipolonaise de la Russie soviétique, ont entamé une campagne intensive pour canaliser les sentiments populaires des Polonais à l'encontre de la Russie soviétique. Ils espéraient par ce moyen parvenir à une réelle collaboration, en particulier à une collaboration de nature politique.
Les autorités d'occupation ont renforcé cette campagne par un certain nombre d'actions telles que :
une tentative pour créer un Protectorat polonais - semblable au Protectorat tchèque - et pour organiser une légion polonaise ;
la promesse de normaliser la situation dans le pays ;
la promesse d'un traitement identique pour les travailleurs allemands et les travailleurs polonais déportés vers l'intérieur du Reich/les mêmes rations alimentaires/.
L'affaire des "tombes de Katyn" ["graves of Katyn"] a été l'un des moyens envisagés par la propagande allemande pour servir ce plan.
En réponse à ces mesures, le peuple polonais a entièrement approuvé les décisions du gouvernement polonais à Londres et refusé toutes propositions de collaboration.
II. Terreur allemande en Pologne. Statistiques.
1. Camps de concentration en Pologne.
Oswiecim [Auschwitz] - Plus de 640 000 prisonniers ont péri dans ce camp entre le moment de sa création et la fin de 1942. Selon les derniers renseignements, il resterait encore environ 40 000 prisonniers.
Majdanek - Environ 27 000 personnes sont internées dans ce camp.
2. Déportations.
Des déportations massives, souvent accompagnées d'exécutions, ont eu lieu récemment :
dans la province de Lublin ;
dans la province de Bialystok (40 000 personnes ont été déportées de la ville de Bialystok) ;
dans la ville de Radom, dont toute la population a été déportée, et, récemment, en Lituanie.
3. Ghettos juifs de Pologne.
Les ghettos de Kobryn, de Luniniec et de Brzesc ont été
complètement liquidés.
Les ghettos de Varsovie, de Baranowicze, de Molodeczno et les villes de Galicie
et de Volhynie [région du N.-O. de l'Ukraine] ont été partiellement
liquidés.
B. Actions militaires et méthodes d'organisation
I. Organisation militaire.
L'une des récentes mesures prises par l'Armée secrète polonaise a été de développer l'organisation de son réseau militaire principalement dans les régions Est et Ouest du pays.
L'état-major du Q.G. a été complété par l'adjonction de personnel nouveau. Simultanément, des exercices tactiques secrets ont été organisés pour les cadets.
II. Opération militaire de centralisation.
Un programme d'organisation et de centralisation est en cours afin d'incorporer dans les rangs de l'Armée secrète polonaise toutes les organisations paramilitaires qui jusque-là n'ont pas encore pris part aux activités de l'armée.
III. Formation militaire.
Une école de formation d'officiers d'infanterie a donné son premier cours en juin 1942. Elle a réuni 150 groupes d'élèves. Les groupes sont en général de 4 ou 5 élèves.
Une nouvelle session a commencé en juillet pour une autre série d'élèves officiers d'infanterie. Le premier cours d'élèves sous-officiers a débuté au même moment.
Une vaste formation militaire pour les jeunes des deux sexes a été engagée. Dans des centres spécialisés, on enseigne aux jeunes filles le métier d'infirmière et celui d'agent de liaison.
Une seconde école de conduite automobile s'est ouverte au milieu de l'année 1942. La formation assurée aux élèves de la première école s'est révélée satisfaisante.
IV. Production d'explosifs.
Un certain nombre de localités fabriquent des grenades de deux types (grenades à main à action retard et à action immédiate).
V. Publications de nature militaire.
Des modes d'emploi ont été publiés pour l'utilisation du matériel allemand d'artillerie et d'infanterie. Il existe aussi des manuels de description et d'utilisation d'autres matériels allemands comme les panzer, le matériel de génie et de transmission.
Un bon nombre de publications militaires paraissent maintenant en Pologne, telles que :
Bulletin d'Information" ["Information Bulletin"], qui paraît sous forme d'hebdomadaire en 24 000 exemplaires, de bihebdomadaire en 8 000 exemplaires, de mensuel en 11 000 exemplaires et 6 000 exemplaires.
- "Agence de Presse" ["Press Agency"], hebdomadaire qui passe en revue l'actualité. Il est distribué à toutes les publications clandestines, dont le nombre dépasse la centaine.
C. Sabotage, activités de diversion et de représailles en Pologne.
(pour la période du 1er mars 1942 au 1er avril 1943)
I. Les activités ci-dessus sont effectuées par des groupes de guérilla et des équipes de sabotage appartenant à l'Armée secrète polonaise. Les unités de l'armée régulière destinées à d'autres tâches ne participent pas à ces activités.
II. Finalité générale et objectifs des activités de sabotage.
Désorganisation des transports militaires allemands ;
Diminution de la production de matériel de guerre allemand ;
Sabotage et destruction de la production agricole allemande ;
Désorganisation de l'administration allemande d'occupation en Pologne ;
Démoralisation de l'armée allemande et de la population allemande au moyen :
de propagande subversive,
d'actes de représailles.
III. Zone d'activité : La Pologne, le Troisième Reich et les régions occidentales de l'U.R.S.S. situées derrière les lignes allemandes.
IV. Résultats.
Les comptes rendus et données statistiques fournis ci-après sont partiels et ne constituent pas le tableau complet des résultats des activités décrites, en raison de :
L'insuffisance des moyens techniques de communication dont dispose notre organisation à l' intérieur du pays [et] le danger de surcharge du réseau de communications à l'intérieur de la Pologne ainsi qu'entre la Pologne et Londres ;
Les difficultés de passage en direction ou à partir de la Pologne orientale et le strict contrôle de toute la circulation entre le Troisième Reich, la Pologne occidentale et centrale.
1. Activités de sabotage
(pour la période allant de l'année 1942 à mai 1943).
a. Chemins de fer
Locomotives Wagons endommagés Wagons incendiés Transports ferroviaires incendiés Transports d'armes endommagés Perturbations d'horaires de chemins de fer en direction de l'ouest Perturbations de communications télégraphiques et téléphoniques du système ferroviaire |
2 085 7 007 167 142 227 152 144 |
b. Production de matériel de guerre
A l'usine "Avia" de Varsovie, 1 532 séries de casiers à bombes ont eu des défauts de fabrication (hors d'usage) ;
A la poudrerie de "Pionki", la quantité d'explosifs mis au rebut pour défaut de fabrication a égalé la production d'un mois ;
A la Oberhütte Stahl Gliwice, la production d'obus antichars a été arrêtée pour pénétration insuffisante ;
A la fonderie "Pokoj", la production d'acier est tombée à 30 % de la production antérieure par suite d'activités de sabotage ;
A l'usine "Ostrowiec" de Varsovie, la production de locomotives est tombée à 30 % de la production antérieure.
Fours à sole hors d'état Puits de pétrole obstrués |
2 |
Le matériel suivant a été endommagé dans un certain nombre d'usines :
moteurs courroies de transmission machines diverses tours chariots matières premières textiles instruments divers machines automatiques l'usure forcée d'instruments a été accrue et a causé la perte de |
362 76 901 342 14 12 772 kg 242 104 17 568 heures-hommes |
L'équipement suivant a été endommagé dans les mines :
tubes rails conducteurs de courant chariots pompes dynamos |
645 m 25 m 1 261 11 2 |
Les matériels divers suivants ont été détruits :
pontons de caoutchouc zinc allié fer acier matériaux spéciaux outils carburant lubrifiants bois destiné à la fabrication d'hélices d'avions hélices terminées caoutchouc outils mécaniques pièces d'artillerie lourde défectueuses |
25 18 tonnes 108 tonnes 102 tonnes 897 kg 344 kg 4 929 tonnes 21 135 kg 470 tonnes 686 40 tonnes 28 tonnes 600 |
Entre février et avril 1943, les produits suivants ont été détruits :
carburant alcool Huile mélanges gazeux divers succédané de coton |
3 300 litres 40 000 litres 300 litres 200 mètres cubes 450 000 livres |
c. Divers
Ont été incendiés :
casernes dépôts d'aviation garages appartenant à l'armée ateliers de l'armée magasins d'intendance voitures détruites ponts de chemin de fer détruits |
1 1 2 1 3 301 9 |
2. Activités d'autodéfense
(pour la période de janvier à avril 1943).
Neuf attaques à main armée ont été déclenchées contre des prisons allemandes afin de libérer des soldats de notre Armée secrète ou des membres d'organisations subversives.
attaques réussies
7
attaques sans succès 2
Au total, environ deux cents hommes ont été libérés.
Aux attaques mentionnées ci-dessus, il faut ajouter, pour
avril 1943 :
l'attaque d'une prison allemande près de Cracovie, au cours de laquelle 120
prisonniers ont été libérés,
l'attaque d'une garnison de police allemande dans la ville de Wysokie
Mazowieckie, où des soldats de l'Armée secrète polonaise emprisonnés ont
été libérés.
3. Activités de représailles
(pour la période de janvier à avril 1943)
a. les personnes suivantes ont été liquidées : | janvier | février | mars | avril |
Agents de la Gestapo : Allemands - au cours de combats et à l'occasion d'attentats : Membres du comité de déportation : |
50 100 - |
16
20 |
27
- |
-
- |
|
janvier |
février |
mars |
avril |
- | dans 189 cas | dans 132 cas | dans 105 cas |
Diffusion du microbe de la fièvre typhoïde et de poux vecteurs du typhus : |
janvier |
février |
mars |
avril |
dans quelques centaines de cas. |
Envoi de colis empoisonnés vers l'Allemagne : |
janvier |
février |
mars |
avril |
- | - | 57 | 20 |
c. Outre les cas mentionnés ci-dessus, les officiers allemands suivants ont été liquidés en avril 1943 :
Le Général Krüger - chef du Département de Police et des
SS et adjoint au Gouverneur Frank ;
Le 16 avril 1943 - Kurt, chef du Service National de Sécurité ;
Le 8 avril 1943 - Hoffman, chef du Bureau du Travail de Varsovie ;
Le 13 avril 1943 - Dietz, adjoint de Hoffman. Et avec Dietz, 27 agents de la
Gestapo.
d. Une succession de menaces personnelles ont été exercées sur des Allemands, suivies de liquidation.
Résultats très satisfaisants.
e. En riposte aux déportations qui ont eu lieu dans le district de Zamosc (du 26 au 28 novembre 1942), des représailles ont été exercées en décembre [1942] et janvier 1943.
Résultats :
Le village de Cieszyn, installé de fraîche date avec des colons allemands, a été incendié (soixante-quatre familles allemandes et huit S.S. sont morts) [2].
Plusieurs autres colonies destinées à des colons allemands ont également été réduites en cendres.
En réaction à nos activités de représailles, les Allemands ont entrepris, le 2 novembre 1943 [sic], une gigantesque chasse à l'homme dans les régions susmentionnées avec l'intention de prendre au piège la population civile et nos groupes de partisans.
Un détachement polonais spécial (300 soldats) a été engagé ; il a attaqué les Allemands aux abords de Lasowice et empêché cette chasse à l'homme.
Le 4 novembre 1943 [sic], les renforts allemands suivants ont quitté Lublin : 5 compagnies d'infanterie, un bataillon S.S. et des blindés.
Nos détachements ont cessé le combat pour aller se cacher dans les forêts.
Nos pertes : 24 morts, quelques blessés, 360 prisonniers.
Pertes de l'ennemi : plus de 40 morts.
[1] |
La Résistance française a utilisé de tels procédés ; voy. Paul Milliez, Médecin de la liberté (Entretiens avec Igor Barrère, préface de Jean Lacouture), Seuil, 1980, p. 55, et Françoise Marcus, «Au cœur du combat, le Comité médical de la Résistance», Le Quotidien du médecin , 23 août 1984, p. 4. Le professeur Milliez en a également parlé à la télévision française. |
[2] |
Si le fait était avéré, quelle différence, au chiffre près, pour l'historien avec le massacre d'Oradour qui aura lieu le 10 juin 1944 en France (642 morts) ? (NDLR). |
Revue d'Histoire Révisionniste, n° 1, mai-juin-juillet 1990, pp 115 à 128
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